Clearstream pour les nuls
Si vous ne voyez pas le rapport entre Nicolas Sarkozy, les frégates de Taiwan, le conseil de sécurité d’EADS et le juge Van Ruymbeke... c’est que vous aussi, vous n’avez rien compris à l’affaire Clearstream - prononcez : [cliw’stwim] – la lecture des lignes qui suivent vous sera donc d’une grande utilité !
Prélude :
Tout commença il y a bien longtemps, du temps où la terre du milieu était encore peuplée de hobbits... euh au temps pour moi. L’affaire Clearstream commence en fait en juin 2001 avec l’enquête des juges Renaud Van Ruymbeke et Dominique de Talancé sur « l’opération bravo », nom de code pour la vente par Thomson-CSF de 6 frégates à Taïwan, après corruption des gouvernements français et chinois. Cette transaction s’est accompagnée du versement de $500'000'000 de commissions et rétrocomissions ainsi que de l’assassinat de 6 des négociateurs et exécutants de « l’opération bravo », la justice ayant conclu dans tous les cas à des accidents ou suicides. Pour ma part – et sans vouloir remettre en cause l’action des juges – je ne pense pas que le capitaine YiYin Chin-Feun, retrouvé suicidé par « de nombreux coups à la nuque » soit mort de façon naturelle, de même que Jacques Morisson, Thierry Imbot et James Kuo, retrouvés tous trois défénestrés en bas de leurs immeubles respectifs... l’affaire Clearstream prend donc racine dans un autre scandale encore plus odieux, mêlant comme souvent corruption et intérêts politiques.
Acte I (le moineau):
Retour en 2001, le journaliste Denis Robert publie deux livres accusant la société luxembourgeoise Clearstream de dissimuler des actions financières frauduleuses comme le blanchiment d’argent sale. Ni une ni deux, après lecture de ces livres, un personnage mal intentionné se dit « tiens, voila le décor parfait pour un scandale politique qui fera tomber quelques têtes », par souci de clarté, nous nommerons cet homme : « le moineau ». Par la suite, notre moineau machiavélique envoie donc deux lettres le 3 mai et le 14 juin 2004, au juge Renaud Van Ruymbeke (enquêtant sur l’affaire des frégates de Taïwan cf. : plus haut), la première commençant par ces mots : « Je vous écris pour vous informer de l'existence d'un groupe mafieux comprenant au moins deux personnes auxquelles vous vous intéressez et qui commencent à étendre en France des méthodes de corruption et de prédation qui ont fait tant de mal à la Russie dans les années 1990. » Elle est bientôt suivie par un CD-ROM comprenant un listing des quelques 16121 comptes bancaires ouverts chez la société Clearstream. Après une folle soirée à éplucher les 16121 noms, le juge Ruymbeke – qui avait par ailleurs raté les guignols de l’info ainsi qu’un épisode inédit de « femme de loi » - se dit : « hum hum, cette affaire me rappelle un épisode de Largo Winch, je vais donc ouvrir une enquête ». Malheureusement, fin 2004, Van Ruymbeke se rend compte que le mystérieux moineau a tenté de le manipuler et que le listing est un faux. Il comprenait entre autres les noms de Nicolas Sarkozy, Jean-Pierre Chevènement et Dominique Strauss-Kahn. En mai 2005, l’enquête préliminaire sur les comptes de Clearstream est donc classée sans suite. (notez au passage qu’il a fallu près de 6 mois à Van Ruymbeke pour parvenir à appuyer sur le bouton « annuler » de son ordinateur.) Deux questions restent pourtant en suspens : qui est le moineau ? Pourquoi est-il aussi méchant ?
Acte II (ça se corse) :
L’envoi du listing par le moineau va faire grand bruit au gouvernement, et chacun va tenter d’y aller de sa petite enquête sournoise, afin de tacler du mieux possible ses opposants politiques :
Dossard n°1 : l’enquête du Parquet de Paris, a priori la plus transparente de toute, conclut rapidement à la facticité du listing, innocentant ainsi Nicolas Sarkozy, suspecté de détenir des comptes sous les faux noms de « Stéphane Bocsa » et « Paul de Nagy » (notez au passage que de Nagy et Sarkozy se terminent tous deux par un y, coïncidence troublante...). L’enquête sur le faux listing est alors prise en main par les juges Jean-Marie d’Huy et Henry Pons. Leur attention se porte très vite sur Imad Lahoud, ingénieur informaticien chez EADS, recruté par Jean-Louis Gergorin, sur recommandation du Général Rondot, ancien des renseignements. En fait, Lahoud est un agent infiltré de la DGSE (OSS 117 version geek si vous préférez), il s’est en outre renseigné de très près sur le fonctionnement de l’entreprise Clearstream et maîtrise parfaitement photoshop©, il est donc « le moineau présumé ». Il semblerait cependant qu’il n’ait pas agi seul, et Jean-Louis Gergorin apparaît pour certains magistrats comme « le moineau en chef présumé ». Gergorin était jusqu’à peu le vice-président exécutif du groupe EADS, mais il a préféré quitter ses fonctions temporairement pour se consacrer à sa défense (il en aura bien besoin le bougre). Il présente en outre toutes les apparences de l’honnêteté puisqu’il est officier de l’Ordre National du Mérite et... maître de conférence à Sciences-po. Les deux hommes ont pour l’instant nié toute implication dans l’affaire mais ils vont bientôt être entendus par les juges (si ce n’est pas déjà fait). Voila donc où en est le parquet à l’heure actuelle.
Dossard n°2 : l’enquête de la DST, dirigée par Pierre de Bousquet de Florian, sur ordre de Dominique de Villepin, en qualité de ministre de l’intérieur (notez que les noms à particule de ces deux hommes laissent présumer d’une profonde malhonnêteté...). Entamée le 5 juillet 2004, cette enquête disculpe rapidement les personnalités citées dans le listing, dont Nicolas Sarkozy. Or, en juin 2005, Nicolas Sarkozy redevient ministre de l’intérieur, et donc de facto, chef de la Direction de la Surveillance du Territoire. Il s’empresse donc, après avoir investi le bureau de de Villepin, et avant même d’avoir enfilé ses tongs, de commander à de Bousquet de Florian, les résultats de son enquête. Nicolas Sarkozy sait donc au moins depuis mai 2005, qu’il est disculpé dans l’affaire Clearstream, alors qu’il feint innocemment de le découvrir aujourd’hui (notez qu’il nous prend un peu pour des cons).
Dossard n°3 : l’enquête de la DGSE, discrètement menée par le Général Rondot, vétéran des services de renseignement, sur ordre du ministère de la Défense. Malheureusement pour la pauvre Michelle Alliot-Marie, qui manque un peu d’autorité, de Villepin ordonne à Rondot qu’il lui fasse directement ses rapports, à lui et au président de la République. Cependant, toujours aussi machiavélique, de Villepin ne précise pas à Rondot que la DST est également sur l’enquête, de même qu’il ne précise pas à la DST qu’il vient de charger Rondot de faire de même. Ce n’est qu’à l’automne 2004 que les deux services l’apprennent au cours d’une discussion inopinée: «
Rondot : tu fais quoi en ce moment ?
De Bousquet de Florian : j’enquête sur Clearstream, et toi ?
Rondot : pareil
De Bousquet de Florian : sur ordre de qui ?
Rondot : de de Villepin et toi ?
De Bousquet de Florian : pareil »
Le Général Rondot conclura son enquête en disant, lui aussi, que le listing est « bidon ». Il charge alors son ami et parent Stéphane Denis d’en informer Nicolas Sarkozy, ce qu’il fait à deux reprises, le 4 septembre 2004 et en mai 2005. Sarkozy est donc triplement au courant de son innocence dans l’affaire et ce dès mai 2005.
Acte III (le bal des faux-culs) :
Aujourd’hui, nous avons d’un côté Nicolas Sarkozy qui ment effrontément en tentant de nous faire avaler qu’il n’était pas au courant des enquêtes menées sur l’affaire Clearstream (alors qu’il est ministre de l’intérieur), et de l’autre nous avons Dominique de Villepin, qui ment effrontément en tentant de nous faire avaler que les deux enquêtes qu’il a menées n’avaient pas pour but de déstabiliser Nicolas Sarkozy. Ce n’est en tous cas pas ce que donnent à penser les annotations de Rondot dans son rapport : « Enjeux politiques. Fixation de Villepin sur Sarkozy. Méfiance » ou encore « cette fois c’est sûr de villepin veut faire tomber Sarkozy. Méfiance ». de Villepin a par ailleurs déclaré à Franz-Olivier Giesbert « Sarkozy, c'est fini. Si les journaux font leur travail, il ne survivra pas. » tout en sachant qu’il était innocent, ce à quoi Sarkozy, toujours aussi diplomate a répondu « Un jour, je finirai par retrouver le salopard qui a monté cette affaire et il finira sur un crochet de boucher. » là encore, cité par F-O Giesbert.
Inutile de vous dire que l’affaire Clearstream ne redore pas l’image du gouvernement et de la classe politique dans son ensemble. Inutile de vous dire également que le gouvernement de Villepin mériterait amplement la motion de censure que s’apprête à voter la gauche et l’UDF. Inutile de vous dire enfin que si vous n’avez toujours rien compris à l’affaire Clearstream, je ne peux malheureusement plus rien faire pour vous. >_<